Le très fort développement des pratiques artistiques et culturelles au cours du dernier demi-siècle aboutit à une pluralité de postures entrepreneuriales, allant de celle de l’amateur mobilisant des ressources d’abord non monétaires à celle du professionnel, dont l’activité dépend autant de revenus directs que d’aides civiles et publiques de différentes sortes.
Une pluralité de modèles économiques en a résulté. Chacun d’entre eux se présente d’emblée comme une construction sociale particulière de qualification et de reconnaissance, par une pluralité d’acteurs interagissant les uns avec les autres, de la valeur complexe de toute proposition artistique ou culturelle. Cela conduit également, au sein de chaque modèle économique, à de très fortes inégalités de notoriété et de ressources, pour les œuvres, les personnes et les organisations. Ces différents éléments invitent à rappeler que, dans ces secteurs d’activité, nous sommes loin d’une simple et unique logique de marché supposée réguler par les prix l’ajustement d’offres à des demandes déjà établies.
La pérennité des entreprises des secteurs concernés, tout autant que la durabilité de leur économie, passent donc en particulier par une intensification et une reconfiguration des multiples formes de coopération qui s’y expérimentent déjà. Une mutualisation renforcée des très grands risques initiaux pris par chaque producteur serait ainsi à associer à une mise en commun accrue et à une répartition plus équitable des résultats sociaux et économiques obtenus.
La perspective de développement artistique et culturel portée par la mutation sociétale contemporaine implique un accroissement des ressources économiques mobilisées. Celles-ci proviendront de la réaffectation ou de l’affectation nouvelle de ressources monétaires – aussi bien privées que publiques – mais également de l’essor des formes d’échange collaboratives ou non monétaires. Sur des priorités reprécisées, la puissance publique pourrait en particulier être motrice de formes contractuelles multipartenariales fondées sur une conditionnalité culturelle et coopérative de toute aide publique, quel que soit le secteur d’activité concerné.
Plus largement et au-delà de la prise en compte d’une pluralité de modèles économiques et de filières d’activité (arts visuels, édition, spectacle vivant, cinéma, audiovisuel, musique enregistrée, patrimoine, jeux vidéo…), la priorité de l’action des pouvoirs publics devrait se porter sur trois types de régulation :
- les rééquilibrages au sein de chaque filière des ressources affectées à leurs différents segments (de la recherche-expérimentation à la diffusion-appropriation, en passant par la production et la distribution) ;
- une solidarité économique intersectorielle renforcée, en particulier entre secteurs à dominante non marchande et ceux à dominante marchande ;
- un renforcement des fonds socialisés mis à disposition de ces secteurs, ne serait-ce que par une lutte acharnée contre toutes les formes de captation et de privatisation par une partie des acteurs (culturels ou non) des ressources monétaires directement ou indirectement générées grâce aux pratiques artistiques et culturelles.
Ouvrir ce chantier, c’est chercher de nouvelles voies pour mieux comprendre les tensions et opportunités propres à l’économie culturelle. C’est aussi réduire le risque d’un alignement sur le modèle actuellement dominant de l’entreprise – conçue comme d’abord productrice de profits dans une économie de marché financiarisée – qui minore les dynamiques non marchandes et contraint les processus coopératifs et de socialisation des projets.
Pour approfondir, voir les contributions :
#7, « Investir en urgence dans des modèles économiques de la création artistique plus coopératifs et solidaires », à partir de l’étude d’un exposé sur la situation socioéconomique du spectacle vivant en France, mai 2015.
#3, « Adoptons une position plus large sur la culture pour définir les futures politiques publiques », à partir de l’étude du texte d’orientation politique de la FNCC, juillet 2013.
#1, « Pour un pivotement stratégique des politiques culturelles publiques », à partir de l’étude de cas des démarches de réélaboration participative des politiques culturelles de Rennes et de Montreuil, mars 2013.
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