Une nécessaire considération des tensions
On peut alors émettre l’hypothèse que toute contribution sur un repositionnement des politiques se proposant de refonder ces axes politiques, aussi pertinente soit elle, ne pourra faire système qu’à l’épreuve des faits. Les tentatives actuelles produisent souvent un sentiment de reconnaissance, d’adhésion et de convergence de beaucoup de professionnels agissant dans la culture. On peut s’en féliciter. Cependant une fois la conférence terminée ou le document de présentation / communication rapidement parcouru, subsistent de fortes interrogations quant à une mise en œuvre effective. Restent de grandes imprécisions sur les effets recherchés et sur les conditions à réunir pour que le projet se concrétise.Sans clarification des questions et des tensions concrètes auxquelles souhaite répondre la puissance publique, il peut y avoir un risque de disposer de textes somme toute séduisants, mais impossibles à incarner dans les réalités concrètes, impossibles à traduire en termes d’actions, de partenariats et d’organisation, et surtout déconnectés des préoccupations actuelles des acteurs, y compris des citoyens.Ces nouvelles politiques publiques en faveur de la culture prônent de manière peut-être un peu trop systématique la réintroduction du collectif dans la gestion de la Cité. Au-delà d’une incantation sur la nécessité de reconstruire un cadre relationnel entre les différents acteurs du territoire, qu’ils soient élus, techniciens, professionnels ou habitants, il y a sûrement lieu d’approfondir de manière plus poussée la question de la relation entre la personne, les communautés et l’État. Positionner la culture comme espace d’émancipation pour la personne et d’élément structurant pour le développement territorial ne suffit pas à comprendre l’extrême complexité des systèmes relationnels dans lesquelles elle se situe.Par exemple, comment parler de culture et ne rien dire sur le rapport hommes/femmes, sur la différence des rythmes de vie, et donc de pratiques culturelles ? Comment parler de politiques culturelles et ne pas aborder le thème des discriminations et des inégalités d’une manière générale. Les concepts de coopération et de participation, mis en avant comme modalité prioritaire, ne laissent pas entrevoir quels processus de construction de territoires communs sont envisagés dans nos sociétés différenciées et fracturées dans lesquelles nous vivons. Partons alors du principe que les politiques à venir devront bien plus s’appuyer sur des constats et des analyses quant aux fractures et les ruptures tant sociales qu’économiques que nous vivons, mais aussi sur la manière dont celles-ci sont en retour travaillées par les pratiques et les politiques culturelles. Autant de réalités et de tensions qui sont pour le moins quotidiennes pour les services culturels des collectivités publiques.
Hétérogénéité et territoires communs
L’exigence des nouvelles propositions est de mettre au travail le commun par une reconnaissance, une compréhension partagée et une régulation mieux maîtrisée de la diversité et de l’hétérogénéité, du dissensus et la divergence. Cela revient à savoir comment produire du commun si on ne reconnaît initialement pas le caractère extrêmement hétérogène de nos sociétés. Les propos sur les nouvelles urgences de la culture renvoient à un monde encore trop conçu comme relativement homogène et où la diversité et la différence ne sont pas encore assez considérées comme un moteur des futures politiques culturelles.Mais c’est peut-être la tentative même de construire une nouvelle référence qui produit cet effet déformant. Car effectivement tout dépend d’où l’on parle. Les responsable politiques sont conscients de ces discriminations, mais les oublient peut-être trop rapidement au moment de la phase de décision et de choix de dispositifs. Nous devons avoir cette exigence d’aller au-delà de la séduction, et s’engager, comme il se doit, pour faire face aux mécanismes d’inégalités, de discriminations et de hiérarchisation à l’œuvre depuis de plusieurs années.Pour le dire autrement, en retenant l’hypothèse d’une nouvelle doxa, l’objectif perceptible est de rechercher à réunir autour de ces propositions suffisamment de partisans, sans forcément avoir le souci de répondre très concrètement aux questions auxquels les élus, les citoyens sont sensibles. On a ainsi encore du mal à percevoir comment la culture peut être concrètement contributive dans les processus de construction identitaire de chacun. Comment peut-on entrevoir la relation entre les individus et les collectifs, en intégrant la question de la diversité des communautés existantes sur un même territoire ?Nous considérons qu’il faut lever les sous-entendus et faire ressortir ce qui a été mis sous le tapis, laissé là depuis trop longtemps. Sans cette exigence, les tensions apparaîtront lors de la mise en œuvre : lorsque les nouvelles propositions seront confrontées aux réalités sociales, politiques et sociologiques, le projet risque de ne plus tenir ses promesses, avec beaucoup de déceptions. Inutile d’en ajouter dans cette période de désenchantement.C’est là où l’on peut se rendre compte du décalage existant entre une pensée que nous pourrions qualifier d’irénique, gommant trop les tensions potentielles mais prévisibles, par rapport à une pensée politique et stratégique, nécessairement plus opérationnelle et sachant bien qu’elle va avoir à réguler du conflit. Si l’objectif est de produire de la croyance et d’envisager un nouveau modèle à terme, alors ces publications sont à considérer comme une première ébauche, étape vers un processus de redéfinition des fondements des politiques publiques en faveur de la culture. Prenons les alors pour ce qu’elles sont, sans marketing ni campagne de communication.