Pour un pivotement stratégique des politiques culturelles publiques

Axes de réflexion en partage

Nous devons collectivement être en mesure d’inventer une démocratie à la hauteur des enjeux sur la diversité et l’hétérogénéité dans laquelle nous vivons. La mise en avant systématique du principe d’égalité entre les individus gomme les dissensus, voire les conflits et les discriminations à l’œuvre aujourd’hui. Cela revient à réaffirmer continuellement les principes constitutionnels d’égalité et de droit de la personne au prix de la persistance d’importantes discriminations économiques, sociales et culturelles.Un projet politique doit être en mesure de repérer les difficultés auxquelles il cherche à répondre. Par exemple, l’expression « développer l’éducation artistique » ne nous apprend rien sur la visée réelle d’émancipation personnelle et collective, ni sur les contenus et les difficultés auxquelles la puissance publique cherche à répondre. Pour approfondir cette réflexion nous pourrions retenir 8 propositions d’axes de réflexion dont la mise en débat faciliterait l’émergence de nouvelles pistes de développement et d’un repositionnement de l’action publique en faveur de la culture :

  • Le premier axe porte sur la notion de lieux culturels, qui aujourd’hui est toujours la référence centrale. Il s’agit peut-être de passer d’une notion générique d’équipement à la notion de temps et d’espace de vie. Comment alors repositionner l’expérience sensible des citoyens dans des espaces et dans des temps de vie ? Quel peut être alors le positionnement et la contribution des équipements culturels ? Intégrer l’expérience des temps de vie, c’est se poser la question de temps d’accueil dans les lieux, du temps des pratiques et de la réciprocité dans les échanges, de temps pour une délibération plus collective ;
  • Le second axe porte sur le territoire : comment requalifier les lieux dans une mission propre aux territoires ? Peut-on envisager un corpus commun aux équipements et une spécialisation par équipement, tout en recherchant des logiques de complémentarité entre les structures sur l’ensemble du territoire d’une ville ? Implicitement, l’objectif est de faciliter les déplacements sur l’ensemble de la ville, en fonction des ressources spécialisées des territoires, et en recherchant une mixité sociale plus grande et de nouvelles dynamiques intergénérationnelles ;
  • Le troisième axe se propose de réinscrire les grands équipements dans un cadre de responsabilités plus large en s’inspirant notamment de la Charte de missions de service public pour le spectacle vivant de 1998. Cela suppose de regarder en quoi chaque équipement qu’il soit de proximité, de niveau interrégional ou européen (sans oublier les réseaux auxquels il appartient) apporte une contribution tant à la vie des territoires, qu’à la diversité des personnes qui les font vivre ? Cette approche plurielle doit déboucher sur une clarification des responsabilités des équipements au plan artistique et culturel, historique, économique, social, professionnel, environnemental. Concrètement, chaque équipement, quel que soit son domaine d’action, devrait être par exemple en mesure de porter une attention particulière aux initiatives portées par les acteurs de leur territoire d’implantation ;
  • Le quatrième axe tourne autour de la notion de projets artistiques et culturels situés, c’est-à-dire inscrits à un endroit donné dans une époque donnée. L’histoire nous apprend que les grands courants artistiques sont aussi nés de cet ancrage dans leur époque. C’est la logique du double pilier en faveur de la création : soutenir autant des créations en lien avec les territoires que des créations de pure recherche. Ce principe devrait encadrer les futures aides à la création ;
  • Le cinquième axe que nous proposons concerne l’éducation artistique et culturelle qui est au cœur de l’actualité. Ce qui peut être intéressant ici est peut-être moins l’apprentissage disciplinaire que la construction de parcours d’identité culturelle des personnes, des enfants, des citoyens, étayer par les possibilités offertes d’expression artistique. Là aussi, avant de se poser la question de l’organisation, des compétences nécessaires pour encadrer ces moments d’éducation artistique, des plans de formation à mettre en œuvre pour les professionnels désireux d’encadrer ces ateliers, prenons le temps de définir les priorités publiques recherchées au travers de cette volonté de généralisation de l’éducation artistique et culturelle ;
  • Le sixième axe propose de requalifier les éléments du patrimoine matériel et immatériel compte tenu des évolutions et des mutations de la Cité. Comment s’appuyer sur les valeurs du temps passé pour comprendre le présent dans une perspective de reconfiguration des identités ? Cela nous invite à une réflexion sur notre mémoire et notre histoire avec des questions concrètes comme par exemple ce que doit être un musée aujourd’hui ? Ce que doit être une médiathèque ou une bibliothèque, sur ce que nous devons faire des friches industrielles ? Cette réflexion est une condition essentielle d’appropriation du territoire sensible par les citoyens ;
  • Le septième axe est de mettre le numérique au service des projets. Aujourd’hui le numérique est une donnée de base qui touche l’ensemble des domaines. Le développement autonome du numérique nous intéresse-t-il ? Ne doit-on pas plutôt réfléchir à la dimension numérique des lieux, des équipements et des projets, des pratiques et des usages ? Quelles sont les priorités de politiques publiques à cet égard ?
  • Le dernier et huitième axe consiste à prendre définitivement au sérieux la nécessité d’une reconfiguration des politiques culturelles publiques en termes de régulation sociale et économique des filières d’activité artistiques et culturelles, sans laquelle tous les discours humanistes sur les bienfaits de l’art et de la culture ne seront au mieux qu’une incantation sans effet face au renforcement prévisible des positions et hiérarchies acquises et d’une intégration de la dimension artistique et culturelle comme élément parmi d’autres d’une économie à visée essentiellement financière et lucrative.

Territoires, pratiques, expériences sensibles, missions et interventions publiques, économie artistique et culturelle… sont autant de maîtres mots sur lesquels il nous faut investir pour retisser les liens entre la complexité des réalités (et ses difficultés), les éléments d’un référentiel politique opérationnel porté par le système d’acteurs et les aspirations à agir et à pratiquer des citoyens.

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